Comme beaucoup de Jeunes filles pauvres, elle eut, pour survivre, recours à la galanterie. Hélas, sous une élégance indéniable, elle dissimulait des dessous bien modestes. Malgré tout, elle était bien excitante...

Les affaires qui marchaient de mal en pis depuis quatre ou cinq ans, semblaient reprendre vers 1935. Les syndicats mobilisaient quand même leurs troupes, on n'en était pas encore au poing levé, mais cela n'allait pas tarder…

La réputation de Georges Irat, déjà bien entamée, s'évanouissait dans la fumée de ses dernières deux litres, bâtardes à souhait ! Où était-elle passée " La Voiture de l'Elite ".

Inutile d'espérer un retournement de situation, personne, en cette période trouble, ne s'étonnait beaucoup de la disparition d'une marque d'automobiles nombre de constructeurs, et non des moindres, ayant déjà mis la clef sous le paillasson.

Les plus heureux se reconvertirent dans des industries plus lucratives (l'eau minérale, la machine agricole, etc.), les exemples abondent. Faute de finances, il n'y avait presque plus de clients pour la voiture de luxe, on en est déjà à la machine à rouler pour petits épargnants besogneux, signe de la promotion sociale du prolétaire. Il faut du bon marché, on va faire du " bon marché ", ou crever.

La montagne qui accouche d'une souris

 

Lorsque, en automne 1935, Georges Irat lève le voile de mystère, qui, entretenu par la presse, entourait ses secrets préparatifs, on se rendit compte qu'il n'y avait pas de quoi se taper le derrière par terre .. La montagne avait accouché d'une souris et les vrais amateurs à qui l'on ne fait guère prendre des vessies, fussent-elles à traction avant, pour des lanternes, ne s'y trompèrent pas.

Le dépliant de la marque et certains articles de la presse spécialisée affirment à qui veut bien l'entendre " que les 5 et 6 HP qui viennent de sortir ne sont pas l'effet du hasard, mais le fruit de mûres réflexions " et que, " en raison de son passé et de la réputation sans ombre de ses voitures, Georges Irat ne pouvait assortir à son nom d’un « à-peu-près ». Commentaires on ne peut plus dithyrambiques. Même si une douzaine de bonnes fées se penchèrent sur son berceau, la pauvre voiture accusera toujours quelques tares indélébiles et grossières.

Ses seuls atouts, elle en a quand même quelques-uns, sont une ligne élégante et une tenue de route fantastique. Mais, pour la finition, on était loin de la réputation de classe et de qualité infailliblement engagée par Georges Irat. Les divers éléments de la carrosserie avaient une nette tendance à se désolidariser de l'ensemble, l'économie portant jusque sur les freins d'écrous, mais ceci est une autre histoire...

Il faut faire abstraction du passé de la marque et considérer cette production avec un œil neuf, et un enthousiasme juvénile.

 

Le célèbre moteur Ruby, jouissant d'un prestige glorieux et parfaitement justifié.

 

Il jouissait surtout d'un bon "coup de vieux ", le célèbre et prestigieux moteur Ruby ! Après plus de quinze ans passés, sans même parvenir à s'offrir une culasse amovible, on était en mesure d'attendre de lui une bonne retraite. Il s'avéra cependant capable de performances honnêtes, tapant même le 120 dans la version 1100. Enfin, Georges Irat et les Etablissements Godefroy et Lévêque, ayant fusionné, pour le meilleur et surtout pour le pire, il fallait bien écouler les stocks de moteurs. D'autre part on évitait ainsi l'étude et la mise au point longue et bien entendu coûteuse d'un moteur aux résultats incertains. Celui-là, on le connaissait, il était solide à condition de n'être pas brutalisé, économique et d'un rendement satisfaisant. Et puis, reprenons une fois encore les coups d'encensoir d'époque, si "le nom de Ruby classe la machine", pourquoi s'en priver !

Pour mémoire il s'agit d'un 950 cc (55x95) et d'un 1.O95cc (60x97), bloc borgne, soupapes en tête, culbuté. Le graissage s'effectue sous pression avec une pompe à piston et clapet à bille. A ce propos. il vaut mieux mettre ses lunettes et faire attention lors des vidanges : le bouchon du carter et la pompe à huile sont côte à côte. Si vous faites une erreur, vous passerez quelques temps à quatre pattes pour récupérer la bille, une bille ça roule bien et loin. L'huile recommandée ? 20-30 l'hiver et 30-40 l'été. Arrosez bien les culbuteurs, pendant que vous y êtes, cela ne leur fait pas de mal ! La puissance est variable, il faut compter 30 HP à 3.300 tours en moyenne. Vous pouvez monter deux carburateurs (un à chaque bout) ou un seul à l'arrière. Le compresseur. je ne vous conseille pas. Pourtant la marque exposait au Salon, un modèle équipé d'un Cozette n° 6, et le catalogue inscrivait des performances prometteuses. La fragilité de l'embiellage me permet d'affirmer qu'il n'y eut guère de suite à cette réalisation, pour le moins aventureuse.

Il est intéressant de noter, pour la petite histoire, que le catalogue qui annonçait 120 et 130 de vitesse de pointe, a été surchargé d'une rectification plus réaliste de 110 et 120, pour chacun des types.

Pour les amateurs avertis, j'ai dans mes carnets quelques petites recettes de "gonflag ", confidences des Ets François, ex-concessionnaires. Avec ces réglages et modifications ils obtinrent de notables performances.

Le refroidissement est à eau, par thermosiphon (que les béotiens notent qu'il s'agît d'un principe et non d'un instrument, un thermosiphon ne s'achète, ne se démonte, ni ne se bouche...). C'est là que le bat blesse… Sur route, aucun problème, même par fortes chaleurs, mais dans la circulation urbaine, c'est le geyser continuel. Une pompe et une boîte à eau rapportées ne sont pas du luxe. Un petit radiateur d'huile, style 2 ch, s'adapte très bien et rend de grands services.

Encore une fois c'est un mauvais moteur pour celui qui le maltraite.

 

L'acheteur pourra émettre un seul doute : la parfaite tenue du dispositif de traction avant

 

Mis à part la fragilité évidente des flectors, et encore ceux-ci ne cassant jamais du jour au lendemain (il y a toujours une période intermédiaire d'effilochage facilement décelable), il n'y a pas lieu de s'inquiéter outre mesure. Le débattement des roues est très bon, la suspension suffisante, le rayon de braquage exceptionnel pour une traction avant. Un carrossage impressionnant, confère à la machine un air méchant que lui envieraient bien des voitures de l'artiste milanais.

La boîte-pont fait bloc avec le moteur. Inversé. Deux gros ressorts à boudin coulissant dans un boîtier en bronze, assurent la suspension avant. La suspension arrière est réalisée au moyen de leviers articulés, combinés à des cantilevers. Plus tard on remplaça les ressorts arrière par des anneaux Neiman. Au moment décadent des calandres "boule", les colonnes de bronze cédèrent également le pas aux anneaux de caoutchouc. Ce fut le début d'une série de déboires qui pour certains n'est pas encore terminée…

Traction avant, et quatre roues indépendantes, toutes les conditions réunies pour une tenue de route redoutable. Seul un manque de performances dans les côtes, un effondrement total (moins sensible sur le modèle à quatre rapports) peuvent lui être reprochés. La vitesse de pointe était et est encore satisfaisante es petites routes étroites et sinueuses sont bien agréables. On entre dans un virage. l'arrière glisse, un coup d'accélérateur judicieux et on est sorti... Grisant!

 

Les clients attendaient à la sortie des ateliers

 

Sans aller jusqu'à imaginer une foule innombrable, faisant la queue devant les ateliers, attendant que Georges Irat distribue la "manne céleste" à quelques rares privilégiés. Il faut bien admettre que cette voiture rencontra un certain succès, même si un journaliste coupable de la phrase mise en intertitre se laissait un peu porter par la vague de son imagination ou d'un petit banquet bien arrosé... On peut estimer à plus de mille, le nombre d'exemplaires construits. Bien plus que n'en firent nombre de marques plus prestigieuses.

Deux styles de carrosserie étaient proposés à l'aimable et Impatiente clientèle : un roadster spartiate, assorti d'un confortable, voire luxueux cabriolet. Il paraît même que les Ets François auraient sorti un exemplaire unique d'un faux cabriolet ou d'un coupé. Nulle trace n'en subsiste.

Le cabriolet, classique, possédait bien entendu une capote articulée, des vitres latérales montantes et un pare-brise rabattable. De construction orthodoxe, beaucoup de bois entrait dans sa composition, il était lourd (environ deux cents kilos de plus que le roadster. Evidemment il était moins rapide (ou plus lent, c'est une question d'appréciation)

Incontestablement, le roadster est le plus beau. C'est la George Irat par excellence. Son équipement rustique et sa porte unique le rendent sympathique dés le premier abord. Le long capot, copieusement louvré, y est pour beaucoup, mais si on le soulève, quelle déception ! Il y a de la place pour un douze cylindres. Néanmoins au volant on oublie tout, séduit.

Le châssis de conception classique. la carrosserie assure la rigidité de l'ensemble, un peu style châssis-coque. La carcasse de la carrosserie métallique, formée de tubes soudés, reçoit la tôle bordée et soudée. Trente ans après, rien ne bouge. Le tout pèse 660 kg, ce qui assure un rapport poids-puissance satisfaisant.

Les dimensions : 1,30 m pour la voie avant et 1,20 m pour la voie arrière, l'empattement de 2.50 m. L'habitabilité est impressionnante, trois personnes tiennent à l'aise sans se gêner. Avec le changement de vitesses au tableau de bord. il n'y a pas d'encombrante console centrale.

Le "vaste coffre arrière reçoit un bagage imposant, point fort intéressant pour les touristes et les voyageurs". Il reçoit également la batterie ce qui cause parfois d'inquiétantes surprises. quand, arrivé à l'étape vous sortez vos valises rongées par l'acide... "Les généreuses proportions de sa carrosserie l'apparentent pour le confort et l'aisance des occupants aux grosses voitures". Ne vous l'avais-je pas dit ?

 

Lorsque Satan fourbissait ses tentations les plus perfides…

 

Il y a presque une vingtaine d'années, les bons pères de St Ferdinand des Ternes essayaient de m'inculquer quelques rudiments de catéchisme, il n'était pas rare que ma foi chancelante fut ébranlée par la proximité (en face) du garage François. Quand Satan utilise de telles armes, qui résisterait ? Je séchais volontiers pour aller m'installer dans les voitures des clients encore nombreux.

Plus tard, lorsque Germain Lambert tenait boutique à la " Boule de Nanterre ", nous nous retrouvions, un petit groupe d'adolescents boutonneux, autour des roadsters qui excitaient notre convoitise. Avec un permis tout neuf, nous avons sillonné les routes de Saint-Germain à Sartrouville, fiers comme des paons au volant de nos voitures " sport ". Si l'une d'entre elles eut une fin malheureuse, les deux autres continuent allègrement leur carrière...

Une Georges Irat, ça marche, ça marche même très bien, à condition d'en prendre soin. Il serait vain de la comparer avec une voiture actuelle, néanmoins elle est capable de soutenir une bonne moyenne sur route. Contrairement à la majorité des voitures anciennes, elle ne semble pas handicapée par la circulation routière actuelle, possédant assez de ressources pour doubler, et puis les freins freinent.

Puisant sans vergogne dans les chroniques de Max End, je ne peux que lui laisser le mot de la fin, c'est la moindre des choses : " Certains sportifs qualifient d'amusantes les voitures qui, comme l'on dit, se défendent sur la route. Je ne trouve pas que ce terme s'applique bien à la Georges Irat, c'est plus qu'une voiturette amusante... Elle n'est pas non plus un compromis... Il y a toujours quelque chose qui cloche dans un compromis. Comment la qualifier ? Essayez la "

J. POTHERAT.

Serge Pozzoli

Marc Corlobe

Jacques Potherat

Quelques années plus tard...

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